LE ST CLAIR EN ÉBULLITION
Il y a deux feux d’artifices incontournables à Sète : le point d’orgue de la St Louis et la saison des festivals de cette ville qui compte le plus grand nombre d’artistes en fonction de son nombre d’habitants. Parmi cette myriade d’évènements, privilégié serait celui qui n’aurait pas à opérer quelques choix, toujours difficiles … Si beaucoup font l’objet d’une couverture médiatique, exagérée diront certains, à la hauteur de leur intérêt, se défendront d’autres. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a des évènements bénéficiant d’une médiatisation moindre.
L’exposition « Temps suspendu » d’Antoine Dubruel, du 5 au 11 juin, à la salle des pèlerins fait partie de ces « petits » évènements dont il serait bien dommage de passer à côté. De retour de Conques où il vient d’exposer plus d’une vingtaine de nouveaux tableaux, le jeune homme s’apprête à investir la salle de notre dame, pour la deuxième fois (il avait déjà exposé l’année dernière à peu près à la même période). L’occasion pour nous de rencontrer cet artiste total qui a trouvé dans Sète, qu’il habite une partie de l’année, une de ces plus grandes inspiratrices.
Quel retour avez-vous eu de l’exposition de Conques ? Ça c’est bien passé, le public est venu nombreux, on a pu discuter, parler peinture, après reste la question de la vente, il y a des artistes qui sont plus doués que d’autres pour vendre, ceux-là ont de la chance…. L’année dernière, vous disiez avoir été un peu pris de cours pour préparer l’exposition, avez-vous eu plus de temps cette année? J’ai couru un peu, mais je crois que ça fait partie du boulot, mais pour répondre à votre question je pense que oui, je m’y suis mieux préparé. Qu’est-ce que cela vous fait d’exposer ici ? Il y a plus de 70 mètres carrés et c’est une très belle salle, visuelle, avec une lumière extérieure intéressante, des carreaux colorés, une lumière tamisée. Elle n’est ouverte que la saison et c’est bien d’y voir du monde car Michel Ballanger est un passionné, et une personne très bien. Qu’attendez-vous de cette exposition ? Déjà qu’il y ait autant de monde que l’année dernière. Cette salle n’est pas facile d’accès, beaucoup de gens qui vont voir le panorama sont à côté et ne le savent pas. C’est pour ça que cette année j’ai essayé de faire une meilleure communication. C’est un boulot à plein temps, un travail dont je n’ai pas l’habitude, mais qu’il faut bien faire… Et pendant ce temps vous n’avez pas le temps de peindre ? Hé non, c’est un peu le problème, d’ailleurs, j’ai hâte de m’y remettre ! Parlons de votre peinture, vous avez commencé il y a une quinzaine d’années , je suppose que vous avez pu constater une évolution de votre peinture ? (Sourire), Oui au départ je peignais des corps abstraits , pour être plus précis avant de peindre, je dessinais, il a fallu un déclic pour que je prenne les pinceaux, ce déclic est venu après avoir vu une toile de Van Gogh en cours d’Histoire de l’Art, par la suite je n’ai plus eu qu’une obsession, qu’un désir, peindre. Et lorsque, après ce choc visuel, vous vous lancez, le motif principal est le corps humains ? Oui, c’est ça, des fragments corporels, quelquefois un unique élément avec l’idée de mouvement que j’ai conservée par la suite. C’est vrai que vos paysages ont quelque chose de mobile, de physique, vous peignez un peu la nature comme un corps, qui souffre, qui désire, en tout cas qui semble chercher à manifester un état, un sentiment ? Oui, peut-être car j’ai conservé une certaine spontanéité dans l’acte de peindre, un aspect instinctif qui a certainement partie liée avec l’aspect organique de ma peinture. C’est quelque chose que j’avais à mes débuts et que j’aime, mais aujourd’hui, il fait suite à un travail préparatoire plus important.
Atelier, Crédit photo : Jordi Blain-Soubrier
Vous voulez parler de l’encre ? Oui entre autres, car il y a aussi le fusain et la mine de plomb. Là, je vais aussi exposer des tableaux peints uniquement à l’encre, vous avez vu les toiles de Victor Hugo, c’est merveilleux… Quelle est la différence ? J’adore l’huile, mais l’encre a ce côté one shoot que j’aime, il y a une prise de risque, on ne peut pas se louper… alors, chaque fois c’est une sorte de challenge… Et en ce qui concerne l’huile, le ratage est rattrapable ? Non plus, d’ailleurs je vais vous faire un aveu quelques chose je ne rate jamais rien (rires). Si, évidemment mais disons que je garde même les toiles que je n’ai pas réussi à faire, cela me sert de leçon d’humilité, comme cette copie de Nicolas de Staël (il s’agit d’une tentative, ratée, d’imitation) que je trimballe partout avec moi. Plus sérieusement, quand j’attaque l’huile et mes paysages abstraits j’ai la chance de savoir exactement ce que je veux faire, là où je vais, j’ai une idée très précise des formes et des couleurs. C’est ce que vous appelez un paysage mentalisé, c’est quoi exactement ? C’est-à-dire qu’avant de me mettre matériellement au boulot, le tableau existe en substance dans mon esprit, et il s’agit alors de le retranscrire aussi fidèlement que possible. L’improvisation, comme dans les films de Cassavetes, notamment Shadow dont je suis inconditionnel, se fait sur une structure. Ce processus de mentalisation est-il long ? Cela dépend, cela peut prendre des années… Non, peut-être pas, mais oui cela peut être très long. …. Combien de temps ? Je ne sais pas, c’est quelque chose qui m’échappe, mais c’est tant mieux… on ne peut pas toujours tout contrôler.
Et vous travaillez à Sète principalement ? J’y ai mon atelier et c’est vrai que Sète m’inspire particulièrement, c’est beau, c’est calme, il y a cette mer à tous les coins de rue, le St Clair est magnifique… J’y suis vraiment bien, il faut juste que je reste concentré car Sète est aussi une ville festive, alors parfois résister aux sirènes… Je suppose que les gens devant des tableaux de Dubruel ont un avis tranché, du genre j’aime ou j’aime pas, en tout cas cela paraît pratiquement impossible de rester indifférent, mais que pensez-vous de ceux qui trouvent votre peinture sombre, en tout cas offrant une telle vision du monde et de l’avenir ? Sombre, tourmentée, c’est une remarque que j’ai entendu à plusieurs reprises notamment à Conques dont je reviens. Dans la bouche de ceux qui l’employaient, elle n’était pas péjorative, mais je lui préfère le terme d’ »habitée » . Par ailleurs, je n’oppose pas catégoriquement peinture figurative et peinture abstraite comme on le fait un peu trop facilement. Certains peintres contemporains tels Zao Wou Ki, ou Wang Yang Chen, disaient que toute peinture est abstraite. Le cerveau de l’homme aussi est abstrait, nous ressentons une quantité infinie d’émotions, et si la synthèse de celle-ci provoque sur la toile une expression abstraite de tourment, j’assume, mais il y a aussi des passages lumineux ! Enfin, je ne suis pas particulièrement pessimiste. Peut-être d’ailleurs ai-je tort.
Propos recueillis par Jordi Blain-Soubrier – 2017 – Journal en ligne Thau info