Antoine Dubruel, sur les « tristes traces » de l’invisible
« (…) La nourriture est perpétuelle tandis que la vision, elle, se fait soudaine ». Après, c’est telle une composition musicale qui lentement se dessine, non sans quelques ratures certes, pas dans l’acte, précise-t-il, mais dans la tête de l’artiste. Voici venu le moment d’abaisser les barrières. L’acte de peindre se révèle alors nécessaire. Le moment où l’homme devient véritablement peintre et où rien d’autre ne compte.
« Funambule », tels sont ses mots, comme si l’artiste se trouvait suspendu dans les airs, sur la corde raide. Il avoue d’ailleurs avec sincérité et non sans émotion la peur de la chute. Risque conscientisé qui lui vaut le souvenir de quelques effondrements « terribles » dont il se releva parfois avec peine mais toujours grandi. La démarche est ensuite évolutive : mine de plomb, fusain, craie blanche, crayon, tels sont les outils nécessaires à la main du peintre et ce, pour une œuvre en devenir dont le dessin abouti clôt une partie de sa course, fixé sur papier, à l’encre de Chine. A ce moment précis, il s’agit d’une œuvre « naissante », « fragilissime », mais tout de même d’une œuvre qui permet la maturation, la réalisation de la toile finale. Il faut alors laisser filer /fixer le temps pendant quelques jours puis, le travail du peintre coloriste peut alors commencer.
La re-production prend ici tout son sens car la composition colorée est quasi semblable à l’ébauche première mais le noir de l’encre tire sa révérence pour laisser pénétrer les couleurs d’entre lesquelles se devinent déjà les contrastes. L’homme reconnaît ses maîtres que sont Monet ou encore Van Gogh. La composition s’affine et se nourrit alors, comme à ses débuts, de « mets » lentement intégrés, remaniés et digérés, afin de mieux les subjuguer sur la toile. Toile que le peintre aime vaste car elle permet de laisser libre le corps en lui assurant une gestuelle « démesurée » comme si les gestes « violents » accentuaient un acte extatique, de quasi sublimation.
Enfin, le peintre reconnaît cette relation d’attraction /répulsion vis-à-vis de la peinture à l’huile dont il a fait le choix. Difficile « maîtresse » qu’il s’agit de maîtriser tout en sachant le risque de plausible fuite. L’artiste coloriste nous invite alors un « voyage à Istambul » où le peu de matière « en jus » laisse, dans une dernière phase la place à une véritable explosion de couleurs jouissives sur les bases d’une partition originelle mais qui, à force d’élucubrations, se fait originale et singulière. Le geste est toujours insécurisé, soit, mais la jubilation est extrême et difficilement traduisible par le langage des mortels.
Ainsi, l’œuvre se fait elle la résolution d’une équation à multiples inconnus tandis que le dessin, l’encre et l’huile se mêlent et communient dans une sorte de cheminement tautologique où tout se retrouve englobé au bout de ce pèlerinage de la pensée.
Propos recueillis par Elida Fabre.
Juillet 2014.